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Les jeunes acheteurs vont-ils révolutionner la fonction achats ?

Publié par Eve Mennesson le - mis à jour à
Les jeunes acheteurs vont-ils révolutionner la fonction achats ?
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Une formation faisant plus de place aux soft skills, de nouvelles technologies qui viennent transformer le paysage, une envie d'être davantage force de proposition... Les acheteurs qui arrivent sur le marché du travail ne peuvent pas aborder leur métier de la même façon que leurs aînés.

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La fonction achat évolue. Longtemps cantonné à un rôle de négociateur, l'acheteur devient un élément essentiel de l'innovation au sein des entreprises. Pour mesurer cette évolution, rien de tel que de jeter un oeil du côté des jeunes acheteurs, ceux qui viennent tout juste d'entrer sur le marché du travail et ceux qui s'apprêtent à le faire. En quoi consiste leur formation ? À quels genres de missions se destinent-ils ? Quelle est leur vision du métier ? Autant de questions qui permettent de dégager des tendances. Car si des fondamentaux restent et s'amplifient, comme l'international, d'autres paramètres viennent bouleverser la fonction achats. En tête : les nouvelles technologies que même les jeunes gens de la génération Y ne savent pas toujours comment aborder.

Indétrônable international

L'international est depuis longtemps une composante essentielle du métier d'acheteur. Mais cette tendance tend à se confirmer : il est désormais difficile de percer dans ce métier sans expérience à l'international. "Les acheteurs doivent évidemment parler anglais", lance Brice Malm, manager exécutif senior chez Michael Page Interim Management. Mais ils doivent aussi avoir quelques notions culturelles, notamment asiatiques.

Les formations renforcent donc cette dimension internationale dans leur programme. Non pas en additionnant les heures d'anglais, mais en incitant leurs étudiants à s'intéresser de manière approfondie aux autres cultures. Le master spécialisé Strategic Purchasing Management de Grenoble École de Management propose des cours de géopolitique. "Les jeunes en ont besoin, ils réclament cette culture géopolitique afin d'apprendre à lire le monde", analyse Valérie Bost, responsable du master spécialisé. Les étudiants ont même participé au Festival de géopolitique de Grenoble. Des cours un peu atypiques que Lauriane Demay, qui a suivi ce master spécialisé, a apprécié. "La vision géopolitique, économique et juridique des achats m'a beaucoup apporté", déclare-t-elle.

Au sein du master spécialisé MS GAI (Management of International Purchasing) de l'Essec, ce sont les voyages qui forment la jeunesse. Ainsi, le campus Essec de Singapour accueille les étudiants pour quelques jours. Ces derniers participent également à des voyages d'études : ceux de l'Essec se sont envolés pour Shanghai, tandis que les étudiants de Grenoble École de Management ont séjourné au Maroc. À chaque fois, ce sont des expériences enrichissantes pour les jeunes acheteurs qui nourrissent par la même occasion un goût pour une carrière dans un environnement multiculturel. "Ils ont une vraie appétence pour la dimension internationale et sont plus à l'aise au niveau linguistique que leurs aînés. Sur l'anglais et même souvent une autre langue", relève Patrice Pourchet, directeur académique du MS GAI de l'Essec. Une fois leurs études terminées, les jeunes acheteurs débutent bien souvent leur carrière à l'international, la plupart du temps par l'intermédiaire d'un VIE (lire ci-dessous le témoignage de Pierre Prévotat, en VIE chez Plastic Omnium, au Brésil).

L'incertitude des nouvelles technologies

Autre dimension indissociable de la fonction achats aujourd'hui : les nouvelles technologies. Un aspect nouveau que même les nouvelles générations, biberonnées au Web, ne savent pas toujours comment aborder, tant l'incertitude règne sur ce que seront les outils de demain. "Les jeunes acheteurs savent que leur poste va évoluer. Ils doivent gérer les aléas, apprendre à travailler dans un univers incertain", pense Valérie Bost. Au sein de Grenoble École de Management, ils sont préparés à cette incertitude en travaillant sur des projets dans lesquels toutes les données ne leur ont pas été communiquées. "Et ils avancent quand même", se réjouit Valérie Bost. À l'Essec, on habitue les étudiants à travailler avec de nouveaux outils, notamment au sein du K-Lab (Knowedge-Lab), un endroit qui regroupe tous les moyens multimédia de l'Essec. "Les étudiants doivent produire un contenu multimédia sur un thème afin qu'ils s'approprient ces nouveaux outils", explique Alain Alleaume, enseignant au sein des mastères achats de l'Essec, de Kedge Business School et de l'IAE de Grenoble.

Brice Malm met en garde contre l'utilisation abusive de nouvelles technologies, qui pourraient désenchanter le métier d'acheteur : "La fonction achat est intéressante dans les missions de veille de marché, de relations avec les fournisseurs. Il faut garder l'acheteur au centre du dispositif achats et bien utiliser les plateformes de e-procurement afin de conserver l'attractivité du métier", prévient-il. Romain Chapel, qui a suivi le master DESMA et occupe aujourd'hui un poste d'acheteur projet chez Carestream, fait le même constat : "Dans 10 ans, les commandes seront automatiques, les appels d'offres digitalisés. Il nous faudra apporter de la valeur sur l'étude des marchés afin de proposer les meilleures solutions." Les jeunes acheteurs sont en effet conscients que si maîtriser les nouvelles technologies est essentiel, ce n'est pas tant pour les épauler dans leur métier d'acheteur, mais pour être en mesure de réaliser une veille technologique et proposer des produits innovants à leur entreprise. "Nous leur apprenons à faire preuve d'ouverture, à envisager de petites solutions à des énigmes", raconte Valérie Bost. Au sein de l'Essec, les étudiants sont amenés à réfléchir à un projet de start-up. Non pas pour devenir entrepreneurs, mais pour se former à cet esprit, si utile aujourd'hui, d'intrapreneur.

Le " savoir-être " gagne du terrain

Pour faire face aux nouveaux enjeux stratégiques de la fonction achats, il est demandé aux jeunes acheteurs de faire preuve de compétences, non plus seulement techniques, mais aussi humaines. "Les qualités recherchées chez un acheteur sont l'adaptabilité, la curiosité et surtout les compétences relationnelles : c'est une compétence clé dans les achats puisque les acheteurs sont en lien constant avec les clients internes et les fournisseurs", souligne Brice Malm. Selon lui, la satisfaction des clients internes est même de plus en plus importante et les acheteurs doivent désormais faire preuve d'un esprit d'analyse. "Ils doivent effectuer un recueil des besoins précis et le confronter avec le marché", précise-t-il.

Conscientes de cette évolution, les formations s'adaptent. "Accentuer les soft skills est le sujet le plus important pour nous aujourd'hui", souligne Alain Alleaume. À l'Essec, par exemple, un professeur de théâtre intervient pour travailler la prise de parole, la communication verbale et non verbale." Au sein du master spécialisé de Grenoble École de Management, les étudiants sont amenés à effectuer un travail sur le développement personnel. "Nous définissons le rôle des émotions dans l'acte d'achat, apprenons à lire les acteurs internes et externes, à adopter une communication différenciée en fonction de chaque métier... ", précise Valérie Bost.

Pour elle, le "savoir-être" , les soft skills, deviennent même plus importantes que les connaissances techniques, les hard skills : "Il est plus facile de monter en compétence sur les hard skills que sur les soft skills", note-t-elle. Au sein du master DESMA (Management stratégique des achats) de l'IAE de Grenoble, le discours est le même :

"Au-delà de savoirs tangibles, l'acheteur de demain doit être capable de penser la complexité. Pour cela, son cerveau droit est réhabilité. Il ne s'agit pas de renoncer à la rationalité classique, mais de l'enrichir par la créativité, l'imagination et de reconnaître l'importance de l'intelligence émotionnelle. La créativité va l'aider dans la gestion de la complexité et de l'ambiguïté", estime Natacha Tréhan, responsable de programme au master DESMA. Pour elle, la qualité relationnelle clé que doivent acquérir les acheteurs est le leadership : "Le leadership est la capacité à influencer sans autorité hiérarchique et il en a grandement besoin aussi bien en interne qu'en externe. C'est la raison pour laquelle nous avons développé un module significatif sur le développement de la négociation co-créative et du leadership en achats animé", décrit Natacha Tréhan.

Les jeunes acheteurs sont conscients de ces qualités à avoir ou à acquérir. Notamment les qualités relationnelles, afin de faire passer le message que l'acheteur n'est plus un "cost killer". "J'essaie de faire en sorte de m'implémenter le plus en amont possible dans les process", partage Romain Chapel, qui reconnaît que les mentalités évoluent. Lauriane Demay, qui occupe un poste chez Volvo, n'est pas confrontée à ces problématiques, les achats étant valorisés dans le secteur automobile. Mais les compétences relationnelles sont pour elle importantes également tant, selon elle, l'acheteur joue le rôle de "chef d'orchestre". "Il faut faire preuve d'autonomie et ne pas hésiter à prendre les devants avec les ingénieurs, mais aussi les services financiers, les fournisseurs...", énumère-t-elle.

"Les jeunes acheteurs témoignent d'une appétence à pratiquer les achats différemment, à collaborer davantage, notamment avec les fournisseurs, en vue de construire des relations plus pérennes et créatrices de valeur", constate Hugues Poissonnier, professeur associé au sein de Grenoble École de Management.

Besoin d'accompagnement

Est-ce parce qu'ils sont formés à ces qualités de réflexion, de curiosité, de leadership que les jeunes acheteurs arrivent sur le marché du travail avec davantage l'envie d'être reconnus ? Patrice Pourchet met en garde les entreprises afin qu'elles accueillent correctement ces jeunes acheteurs qui arrivent sur le marché du travail. "Ils souhaitent être écoutés, montrer qu'ils peuvent eux aussi apporter de la valeur à l'entreprise. Mais ils sont parallèlement conscients de ne pas tout savoir et souhaitent être accompagnés de personnes performantes qu'ils peuvent challenger", remarque-t-il. Ils ne veulent plus être de simples exécutants et les entreprises qui ne comprendront pas rapidement cette nouvelle donne risquent de passer à côté des meilleurs éléments.

Pour permettre aux étudiants de se projeter dans leur futur métier, au-delà des stages et apprentissages, les écoles font intervenir des professionnels ou organisent même des visites in situ dans les entreprises, auprès d'acheteurs. "Nous sommes très orientés entreprises, indique Valérie Bost. Nous visitons des entreprises industrielles, nous échangeons autour de problématiques opérationnelles : la présence de l'entreprise est continue afin que les étudiants acquièrent les compétences et aptitudes attendues par les entreprises." Patrice Pourchet emmène également ses étudiants dans les entreprises, rencontrer les anciens étudiants. "Cela permet à nos jeunes acheteurs de prendre du recul par rapport à l'enseignement, de se projeter, notamment si les professionnels sont à peine plus âgés qu'eux", observe-t-il. Grenoble École de Management mise également sur de nombreux cas pratiques, afin de faire rapidement passer les étudiants à l'action.

Une approche qu'approuve Alain Alleaume. "Nous mettons davantage les étudiants en situation, à travers des serious games par exemple : l'objectif est de toucher du doigt de manière réaliste ce qui se passe dans les entreprises", indique-t-il.

Une démarche appréciée des élèves : "Au-delà de l'apport théorique des enseignants, très intéressant, les professionnels qui venaient témoigner nous apportaient un retour d'expérience utile", rapporte Romain Chapel. Ce dernier a apprécié être en contact avec des acheteurs qui cumulaient plusieurs années d'expérience... même si lui n'est pas sûr de vouloir passer la totalité de sa vie professionnelle dans les achats. "Quand on stagne au même poste pendant de nombreuses années, on n'apporte plus rien de nouveau à son entreprise", pointe-t-il. Il pense peut-être retourner à la production puisqu'il est de formation ingénieur initialement. Les jeunes acheteurs construisent en effet leur carrière différemment de leurs aînés et deviennent des "couteaux-suisses" qui savent tout faire.

Surtout, les postes qu'occuperont à l'avenir ces jeunes acheteurs n'existent peut-être encore pas. "On estime que 85 % des emplois en 2030 n'existent pas encore aujourd'hui. Il est, pour moi, essentiel de mener une réflexion de fond sur les connaissances, les compétences, les missions, les métiers des achats de demain", conclut Natacha Tréhan.

Combien gagne un jeune acheteur ?

Lors de son entrée sur le marché, un acheteur peut espérer gagner entre 30 000 et 40 000 euros bruts annuels, selon Michael Page. "Le salaire est variable en fonction de la mission, de la taille de l'entreprise et des secteurs", prévient Brice Malm, manager exécutif senior chez Michael Page Interim Management. Les secteurs industriels et de l'IT sont généralement les plus rémunérateurs. Brice Malm conseille de ne pas bouder les CDD ni les missions d'interim qui peuvent ouvrir la voie vers un secteur ou une famille d'achats où il y a peu de CDI offerts aux jeunes sans expérience. Il conseille par contre aux jeunes acheteurs de ne s'orienter vers les PME que dans un deuxième temps : "Les PME offrent très vite une palette de responsabilités, mais démarrer sa carrière dans une organisation achats mature permet de développer les bonnes pratiques achats."


Pierre Prévotat, en VIE chez Plastic Omnium, au Brésil - "Une fonction technique avec une dimension relationnelle"

C'est à l'occasion de ses études d'ingénieur qu'il est proposé à Pierre Prévotat de poursuivre une formation d'acheteur. Une proposition qui retient son attention. "La transversalité de la fonction d'acheteur m'attirait. J'avais l'impression que devenir acheteur me permettait de rester dans une fonction technique, mais d'y ajouter une dimension relationnelle et commerciale", raconte-t-il. Il intègre donc le master DESMA à l'IAE de Grenoble. Il y découvre l'approche stratégique de la fonction d'acheteur et bénéficie d'un enseignement riche, couvrant aussi bien la comptabilité que la gestion de projet, mais aussi l'intelligence artificielle et l'impact des pays "low cost".

Un stage d'acheteur projet chez Faurecia en Allemagne lui permet de construire un peu plus précisément son projet professionnel : "J'avais envie de trouver un poste à l'international et surtout qui me permette une certaine autonomie. Je ne voulais pas être un simple exécutant", précise Pierre Prévotat. Le secteur a également une importance : ce sera l'automobile ou l'aéronautique. "Les achats y sont plus stratégiques et plus techniques", observe-t-il. Une annonce pour un VIE au Brésil chez Plastic Omnium retient son attention : il postule et le voici depuis un an au pays des Cariocas. Son expérience le passionne. Pour la différence culturelle - "on ne travaille pas de la même façon qu'en Europe" - mais aussi pour l'ampleur du spectre dont il a la charge. "C'est une petite structure achat : nous ne sommes qu'une dizaine pour toute l'Amérique du Sud. Nous sommes donc en contact avec tous les services", décrit-il. Il regrette juste que ce côté "touche-à-tout" ne lui permette pas d'approfondir davantage les sujets auxquels il participe. "Et je n'ai pas de vision directe de mon implication à l'élaboration de la stratégie. Mais je crois que c'est comme ça dans toutes les grandes organisations", déplore-t-il. Il apprécie par contre la grande autonomie dont il bénéficie. "J'ai la chance de choisir les sujets sur lesquels je veux travailler, de faire des propositions", indique-t-il. Il souhaite d'ailleurs prolonger son VIE d'un an.

De "cost killer" à analyste

Et après ? Pierre Prevotat pense continuer dans les achats directs industriels et toujours à l'inter national. Il espère surtout trouver un poste qui lui permette de proposer de nouvelles choses, au-delà des fonctions régaliennes des achats. "L'acheteur va devenir un analyste. Il sera de moins en moins un cost killer, considère-t-il. Son enjeu sera désormais "d'avoir une vision complète de l'impact des achats sur les autres services, mais aussi de répondre aux besoins des clients internes tout en prenant en compte les fournisseurs afin de tisser un véritable partenariat avec les plus performants d'entre eux."

Selon lui, l'acheteur ne pourra plus non plus se désintéresser du client final. "Surtout si, comme dans l'automobile, le produit que le client achète est constitué principalement d'éléments achetés", poursuit-il. Pierre Prévotat pense que l'évolution de la fonction exigera davantage de compétences en communication, mais aussi une meilleure prise en compte de l'environnement, qu'il soit politique ou technologique. "L'acheteur de demain devra être curieux afin d'être force de proposition", conclut-il.

 
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